" Ils
étaient sur un vaste parquet de granit, que la mer avait usé, en le creusant de
sillons profonds. On aurait dit des arêtes de quelque monstre perçant le sable,
mettant au ras du sol la carcasse de ses vertèbres disloquées. Dans le creux ,
des filets d'eau coulaient, des algues noires retombaient comme des chevelures.
Tous deux continuaient à sauter, restant en équilibre par instants, éclatant de
rire quand un caillou roulait....
Des blocs
énormes se tenaient debout, comme des sentinelles avancées, postées au milieu
des vagues. Le long des falaises le gros temps avait mangé la terre, ne
laissant que des masses dénudées de granit ; et c'étaient des baies enfoncées
entre les promontoires, des détours brusques déroulant des salles intérieures,
des bancs de marbre noirâtre allongés sur le sable, pareils à de grands
poissons échoués. On aurait dit une ville cyclopéenne prise d'assaut et
dévastée par la mer, avec ses remparts renversés, ses tours à demi démolies,
ses édifices culbutés les uns sur les autres. Hector fit visiter à la jeune
femme les moindres recoins de cette ruine des tempêtes. Elle marchait sur des
sables fins et jaunes comme une poudre d'or, sur des galets que des paillettes
de mica allumaient au soleil, sur des éboulements de rocs où elle devait par
moments s'aider de ses deux mains , pour ne pas rouler dans les trous. Elle
passait sous des portiques naturels, sous des arcs de triomphe qui affectaient
le plein cintre de l'art roman et l'ogive élancée de l'art gothique.Elle
descendait dans des creux pleins de fraîcheur, au fond de déserts de dix mètres
carrés, amusée par les chardons bleuâtres et les plantes grasses d'un vert
sombre qui tachaient les murailles des falaises, intéressée par des oiseaux de
mer familiers, de petits oiseaux bruns volant à la portée de la main , avec un
léger cri cadencé et continu...
Pour
échapper à la marée croissante, ils s'avancèrent le long des rochers, et
arrivèrent enfin à la Grotte à Madame. C'était une excavation creusée
dans un bloc de granit, qui formait un promontoire. La voûte, très élevée,
s'arrondissait en large dôme. Pendant les tempêtes, le travail des eaux avait
donné aux murs un poli et un luisant d'agate. Des veines roses et bleues, dans
la pâte sombre du roc, dessinaient des arabesques d'un goût magnifique et
barbare, comme si des artistes sauvages eussent décoré cette salle de bains des
reines de la mer. Les graviers du sol, mouillés encore, gardaient une
transparence qui les faisait ressembler à un lit de pierres précieuses..."
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire